Quel rôle peut jouer le juriste dans la transformation numérique ? Une nouvelle génération de professionnels du droit se saisit progressivement des innovations technologiques pour les adapter à leurs pratiques et répondre à l’évolution des usages des consommateurs du droit.
Par ailleurs, que ce soit au travers des enjeux éthique, réglementaires, de privacy ou encore de cybersécurité, le juridique est de plus en plus sollicité sur des enjeux nouveaux qui impactent directement l’activité de l’entreprise. Dans ce nouveau paradigme, le juriste doit donc repenser globalement son rôle tout en contribuant à la création d’une nouvelle forme de régulation. Est-ce la fin du juriste ou l’avènement d’un nouveau juriste ? Retour sur une transformation en cours autour de 4 enjeux concrets.
Un nouveau droit compréhensible pour les humains et appréhensible par les machines : Law Is Code!
Depuis l’avènement du Code civil, les producteurs de la norme l’ont démultiplié et l’ont complexifié, la rendant moins accessible. Loin de la vision napoléonienne d’universalité et d’accessibilité, les juristes laissent parfois l’impression d’avoir confisqué le droit et de se nourrir de sa complexité.
Depuis quelques années, une nouvelle génération de juristes crée et repense une nouvelle codification :
- Via la legaltech, il s’agit désormais de coder les règles pour le rendre compréhensible par les machines
- Via le legaldesign, il s’agit d’instituer une démarche orientée autour de l’utilisateur de la norme afin de garantir l’accès au droit à tous
Plus qu’une transformation numérique du droit, c’est bien une transformation du droit qui est en marche. Or il n’y aura pas de nouveau droit sans un nouveau juriste.
Droit : un nouveau juriste augmenté de nouvelles compétences numériques
Bien entendu, ce nouveau juriste doit d’abord et avant tout disposer de compétences juridiques de haut niveau. Mais ce n’est plus suffisant :
- Pour accompagner la traduction du droit dans le code et se servir de la technologie pour démultiplier son champ d’action, il doit disposer de ’’digital skills’’.
- Pour rendre le droit plus compréhensible et adopter une démarche orientée utilisateur, il doit faire preuve de soft skills.
- Et puisque le droit doit également être au service de la sécurisation et du développement du business, il doit disposer de business skills.
C’est en tout cas ce que propose le référentiel des compétences du juriste augmenté, un travail de recherche coordonné par Christophe Roquilly, professeur de droit et directeur de l’EDHEC Augmented Law Institute, auquel ont participé plus de 100 professionnels du secteur, qui fait désormais office de standard pour la définition et l’acquisition de ces nouvelles compétences
L’avènement de la data et du code dans le champ des sciences juridiques : un renforcement du rôle stratégique du nouveau juriste
Comme le relevait Alain Supiot au Collège de France, alors que la formation intellectuelle des juristes se focalise traditionnellement sur l’univers réflexif du langage, on observe également une ‘’immixtion du chiffre et de la statistique dans le droit’’. Ils comprennent que l’avenir du droit se joue progressivement dans la technologie et acceptent de perdre leur monopole sur la règle de droit : « le droit est plus grand que la règle de droit » ainsi que le soulignait le doyen Carbonnier(Droit et non-droit, In Flexible droit : LGDJ, 10e éd., 2001, p. 22).
L’ambition de ces ’’nouveaux juristes” est d’être les acteurs de la transformation du pilier démocratique qu’est le droit. A titre d’exemple, la technologie No Code permet aujourd’hui à un juriste d’automatiser ses contrats en ayant recours à l’algorithmie. C’est une innovation d’usage qui répond au besoin du juriste de s’approprier la technologie et à l’entreprise de pouvoir exploiter en quasi-temps réel ses données juridiques : le juriste revisite ainsi globalement sa promesse de valeur. Le prolongement du droit dans la tech revisite sa sphère d’influence le rôle du juriste est de plus en plus stratégique.
Repenser l’application du droit pour protéger contre les abus de l’IA et garantir une approche éthique centrée sur l’humain
Dans la continuité du RGPD, l’Europe prépare une série de règlements pour mieux réguler l’IA (AI Act) les services (DSA Act), les marchés (DMA Act) et les données (DGA Act et Data Act). Les besoins envers ces nouveaux juristes numériques s’annoncent exponentiels. Dans le prolongement du DPO, métier le plus recherché en 2019 selon Linkedin, plusieurs nouveaux métiers/ fonctions voient le jour. A titre d’exemple, par anticipation de l’AI Act, pour répondre au besoin de disposer de juriste en capacité de garantir un développement de l’IA éthique et centré sur l’humain, pour la première fois en Europe, des acteurs du monde du droit, de la tech et de la formation se sont regroupés pour proposer un parcours certifiant pour les futurs ’’délégués à l’éthique numérique’’. Ainsi, si ce nouveau juriste numérique dispose d’une culture tech lui permettant de repenser l’exercice de son art, il faudra également pouvoir disposer de son expertise pour y traduire des règles visant à maintenir l’humain au centre. Réinventer le droit n’est donc pas un choix. C’est à la fois une nécessité et une opportunité unique.
Former ce nouveau juriste semble aujourd’hui la seule alternative face à la gouvernance algorithmique préconisée ailleurs, afin de faire respecter notre héritage des trois premières générations de droits de l’homme et de faire émerger de nouveaux droits fondamentaux. C’est la mission que nous nous sommes fixés à l’Ecole Supérieure des Métiers du Droit, l’école des nouveaux juristes.